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23/11/2013

Les causes des plans sociaux

Depuis plusieurs mois, la France subit une vague de plans sociaux qui tourne à la déferlante tant les volumes d'emplois détruits sont importants. Les entreprises sont usées par cette crise qui ne semble pas devoir finir et qui lamine leurs marges ( taux de marge de 28% contre 45% en Allemagne ). Dès lors, elles ont recours à un outil technique qui est le plan de sauvegarde de l'emploi ou à un outil juridique radical : la déclaration de cessation des paiements comme dans le cas du transporteur Mory Ducros, dernière mauvaise nouvelle en date.

Les plans sociaux sont-ils une fatalité ? Certains le pensent et soulignent le mauvais climat des affaires que certains des atermoiements du Gouvernement viennent renforcer ( suite d'annonces contradictoires ).

Une chose est acquise : bien peu des solutions réalistes du rapport Gallois émis il y a exactement un an ont été traduites en actes ce qui rend d'autant plus friable notre tissu productif, particulièrement dans l'industrie. ( Fagor Brandt, Bosch à Vénissieux, etc ). Des emblèmes sont touchés telle que La Redoute ou Air France avec ses plans de départ volontaire à répétition dignes de ceux de la Société Générale.

Dès lors, il est légitime d'essayer d'identifier – posément – ce qui provoque l'apparition d'un plan social qui est un mécanisme que les lois ont rendu d'un maniement délicat et assez complexe.

Ce qui génère un plan social est rarement univoque : en fait, cette contraction hélas souvent importante d'effectifs vient de plusieurs facteurs.

1 ) En premier lieu, il faut citer le cas des CLIENTS en prenant bien soin de répartir cette cause selon trois origines qui répondent à trois questions distinctes :

a ) Comment va notre carnet de commandes ?

b ) Comment tenons-nous face à la concurrence ?

c ) Comptablement, comment évolue le poste clients ?

En période de crise d'activité ( voir le niveau actuel de la croissance aux environs de + 0,1% ), le carnet de commandes est nécessairement atteint de plein fouet. Dans le cas de Peugeot, la rareté des clients ( faibles achats de biens durables en temps de crise ) a gonflé le volume de stock de produits finis et engendré un effet de ciseaux très périlleux : moindres recettes et parallèlement moindre absorption des charges fixes. De là provient un assèchement progressif de la trésorerie du fait du " cash-burning rate ".

A côté de cette question du carnet de commandes issu de la conjoncture médiocre, l'aspect client vient bien évidemment de la capacité de l'entreprise à faire face à une détérioration de sa position concurrentielle. Dans le cas du volailler Doux et d'autres acteurs de la filière avicole bretonne, il est confirmé que des marchés du Moyen-Orient ont été perdus car les produits d'entrée de gamme ont été concurrencés par leurs homologues brésiliens ou autres. A partir de là, on peut dérouler un tapis d'explications ( main d'œuvre trop chère en Europe, parité de la monnaie Euro, faiblesse des marges sur des produits de base, etc ), il n'en demeure pas moins que le facteur résultant est la chute du carnet de commandes et la perte du client. Or, tous les commerciaux ( de Toshiba, de Nestlé ou de Siemens ) vous confirmeront qu'un client perdu est difficile et coûteux à reprendre : programmes dits de " win-back ".

Au plan de la réflexion, les Professeurs de Harvard, Messieurs Norton et Kaplan, ont montré que la " balance scorecard " ( voir " Le tableau de bord prospectif, Editions d'Organisation " ) est un outil permettant de suivre la manière dont les clients perçoivent l'entreprise. Autrement dit, ces auteurs ont montré à quel point il est crucial d'effectuer un suivi tangible de la satisfaction client : compétitivité, qualité des produits, délais de livraison, etc. Sur ce point, nous savons que nombre d'entreprises ont des efforts à faire. Il s'agit d'être " market-driven " et non pas de vouloir imposer ses vues aux clients. Du temps de feu Steve Jobs, Apple a su précéder les besoins des utilisateurs de smartphones et autres tablettes.

Autrement dit, le marché tirait l'activité de l'entreprise qui – quant à elle – tirait en retour ses profits de ses ventes. A l'inverse, lorsque Renault saborde une jolie marque comme Alpine, tente d'imposer l'étrange coupé nommé Avantime, on perçoit le décrochage entre la firme et le terrain. De surcroît, l'expérience se répète : alors que 72% des automobilistes envisagent d'acheter, quand ils le pourront, un véhicule hybride, la firme au losange a misé l'essentiel de sa stratégie sur le 100% électrique. D'un côté Toyota, Lexus et ses succès en hybride, de l'autre le démarrage poussif et préoccupant de Zoé.

Ne pas se tenir debout face à la concurrence, c'est rentrer dans une impasse stratégique qui oblige à des plans de réductions des coûts : à devenir un Jivaro sur listing là où il fallait être vigilant au regard des attentes de son client comme savent le faire des firmes à succès comme Plastic Omnium ( prix BFM TV ), Faiveley Transport, SEB ou encore Schneider Electric.

Troisième aspect de la dimension client : comment évolue, en comptabilité, le poste clients ? C'est un point crucial pour plusieurs raisons. D'abord l'argent qui est " dehors " fait que c'est l'entreprise fournisseur qui devient le banquier de son client ! Or en France, ce que l'on nomme le crédit inter-entreprises représente plus de 500 milliards d'euros. En temps de crise, c'est considérable et explique l'effet-domino des dépôts de bilan. Dans le cas – lourd, très lourd – du transporteur Mory Ducros, une éventuelle liquidation entraînerait la destruction juridique directe de plus de 5.200 emplois mais aussi par ricochets sur les sous-traitants la disparition économique de près de 2.000 emplois. Ainsi, un poste client mal tenu ou incontrôlable, c'est la certitude " de se faire planter un drapeau dans le dos " tout en perdant de l'activité. Il y a donc double impact négatif.

Les études de la COFACE ont montré les risques qu'encourt notre tissu productif avec cette anomalie française liée à l'ampleur des en-cours clients. Des mesures existent comme l'affacturage mais, à ce jour, les coûts délégués de recouvrement couvrent parfois le niveau de la marge demie-nette ce qui revient à travailler pour la gloire et non le profit. Parallèlement, la mesure de type Dailly a elle aussi été dévoyée. Initialement, l'entreprise cède sa créance de 100 à sa banque qui l'a recouvrera à échéance auprès du fournisseur et met, dans l'instant, une somme de 90 à disposition de son client. Hélas la crise aidant et les risques d'impayés allant en s'aggravant, les banques demandent un taux de couverture plus large. Si vous cédez 100 en Dailly, on ne vous crédite que de 60 à 70 et on vous verse un solde ultérieur amoindri par une marge ( coefficient de risque ) requise par l'établissement bancaire.

Le poste clients est de l'argent congelé ou de l'argent évaporé en cas de sinistre chez votre client : cette réalité justifie souvent des restructurations – et donc des plans sociaux – chez les fournisseurs comme l'ont montré les émouvantes larmes de cet éleveur qui livrait chez Doux sans avoir été payé depuis des semaines et allait devoir " virer une partie de son équipe ".

2 ) Après l'aspect clients, il est indispensable de citer – avant la mondialisation – l'accélération du PROGRES TECHNIQUE.

Déjà en 1995, Marc Blondel – l'ancien leader de Force Ouvrière – avait alerté les Pouvoirs publics sur les nouvelles règles de la technologie que l'on peut résumer ainsi : il faut de moins en moins de travailleurs pour produire toujours davantage. Lors de son passage à l'émission " L'heure de vérité " le 13 juin 1993 ( il y a un peu plus de vingt ans ), Claude Bébéar avait indiqué " que l'Etat écoutait trop de macroéconomistes et pas assez de microéconomistes ". Effectivement, nombre d'études oublient d'aller voir sur site les conséquences de l'innovation qui est souvent destructrice d'emplois.

Ce thème est établi depuis Schumpeter ou plus près de nous par Raymond Aron ( 18 leçons sur le société industrielle, 1962 ) ou par Bertrand Collomb, fondateur du Centre de Recherches en Gestion de l'Ecole Polytechnique.

Concrètement, l'automobile, le matériel ferroviaire et même l'aéronautique ( imminence de l'annonce d'une réduction de 20% des effectifs d'EADS Défense selon plusieurs agences allemandes dont DPA, soit plus de 6.000 emplois ) sont soumis à cette formidable accélération de la puissance de création de l'humanité qui se fait, hélas, au détriment des opérateurs et des travailleurs. D'ici à 10 ans, si un niveau acceptable de croissance revient, ce poste de technologies qui supprime tant et tant de postes de travail restera une cause essentielle des plans sociaux. L'exemple de l'univers des pneumatiques l'a brutalement démontré : Continental dans l'Oise, Goodyear dans la Somme et Michelin à une moindre échelle en Indre et Loire.

En résumé, la modification de la combinaison des facteurs de production avec une intensité de plus en plus forte en capital a un effet récessif sur le facteur travail.

3 ) D'autant que le facteur travail est désormais, pour certains managers, une variable HORS-SOL : autrement dit délocalisable. Le cas du textile est impressionnant. Ayant quitté les sites de production en Europe ( Nord de la France du début des années 80 ), l'industrie s'est implantée au Maghreb et surtout en Tunisie pour un avantage comparatif lié aux moindres salaires. Puis ce fût la Chine. Et désormais, du fait de la hausse ( relative ) des salaires en Chine, des géants comme H & M vont s'installer en Ethiopie ou d'autres au Vietnam.

La révolution physique des transports, la maîtrise de la logistique, la recherche d'un certain low-cost, la quête de marge du fait des faibles coûts de revient des pays émergents, sont autant d'éléments qui font que l'ouverture des frontières a été d'autant plus durablement mal ressentie par les travailleurs d'Europe qui ont vu s'évanouir des pans entiers d'activité. S'il existe des contre-exemples de relocalisations industrielles, nous savons qu'ils sont rares et que les créations d'emplois de ce type sont encore inférieures aux destructions par plans sociaux.

4 ) Facteur aggravant, la pression sur les résultats et la LOGIQUE A COURT-TERME :

Nombre de grands chefs d'entreprises comme Messieurs Gérard Mestrallet ( Suez ), Christophe de Margerie ( Total ) ou Serge Papin ( System U ) ou Georges Plassat ( Carrefour ) ont souvent dénoncé, chacun dans leurs styles, la pression de nature trimestrielle sur les résultats et exposé que ceci nuisait, in fine, à la pérennité de la firme qui doit parfois avoir du temps pour réaliser – et rentabiliser – un investissement. Dès lors, certains managers plus pressés – ou cupides selon leur propre intéressement – ont tendance à " tirer sur l'herbe pour qu'elle pousse plus vite " quitte à réaliser une omelette et à élaborer des plans sociaux par-delà leurs résultats bénéficiaires. A titre d'exemple, de récentes décisions de Sanofi ne manquent pas de poser question d'autant que le dialogue social a été mis laborieusement à l'ordre du jour de cette belle affaire multinationale.

5 ) L'ingérence de l'ETAT :

Nos contributions sont essentiellement publiées sur LE CERCLE LES ECHOS et parfois sur ATLANTICO.

Ainsi sur ce site, nous avions travaillé sur la question de l'avenir de PSA suite à la célèbre phrase de Monsieur Montebourg disant que " Peugeot devait à la Nation ".

http://www.atlantico.fr/decryptage/licenciements-psa-nation-devoir-envers-peugeot-jean-yves-archer-419565.html

En reprenant, fidèlement notre texte datant du 15 juillet 2012, nous avions écrit :

" Dans le milieu des années 70, les dirigeants de Citroën avaient envisagé une grande alliance avec Fiat. L'Etat s'y opposa et se tourna vers Peugeot qui n'était donc pas demandeur. Chacun sait, dans l'automobile, que cette fusion (1975) a été très difficile (bureaux d'études, intégration industrielle) et n'a probablement pas rapporté grand-chose à l'acquéreur. Autrement dit, la volonté de la Nation n'a pas été conforme aux intérêts de la firme au lion. Mais, il y a plus compliqué et beaucoup plus coûteux, l'Etat a imposé à Peugeot la reprise en 1979 de Chrysler-Europe : ex-Talbot et ex-Simca. Cette firme connaissait une panoplie de difficultés (financières, gamme, qualité, pyramide des âges des personnels, etc…). Et si la Nation n'avait pas trop chargé la barque du constructeur de Sochaux ? "

Ainsi, nous sommes dans un pays où l'Etat a des dizaines de moyens de pression sur les firmes privées et on ne peut donc pas écarter que des décisions stratégiques d'un jour ne préfigurent des plans sociaux dans la décennie qui suit. Dans le cas d'Heuliez, était-il pertinent de laisser Renault rapatrier toute son activité bus et cars pour faire un joint-venture avec Iveco qui est – il faut le noter – seul et positivement à la barre de cette activité depuis le printemps 2013.

D'aucuns auront déplumé Heuliez pour faire le nid d'un concurrent transalpin. L'Etat, à l'époque de cette décision de 1998, détenait plus de 15% du capital. Comprenne qui peut. Ce qui est certain, ce qu'enlever plus de 30% de son chiffre d'affaires à une ETI ( entreprise de taille intermédiaire ) centenaire n'a pas été une décision marquée du sceau du succès pour la collectivité que l'Etat a pour mission d'incarner et de défendre.

6 ) Les FUSIONS-ACQUISITIONS :

La crise modifie presque mensuellement la valeur des entreprises et créé ainsi des opportunités de rachat ou d'OPA en cas de structures cotées. D'autre part le mondialisation donne pleine actualité à la célèbre phrase de l'emblématique ancien patron de General Electric : " Le marché est plus grand que vos rêves ". ( Jack Welch ).

Les sorties de crises sont historiquement marquées par une relance du mouvement de concentration. En France, où le tertiaire n'est pas totalement productif au regard de certains de nos concurrents, il ne serait donc pas étonnant de voir se réaliser des fusions dans l'assurance, la banque et autres secteurs. Songeons à la superbe opération récente de Publicis avec Omnicom et songeons à ce que Vinci prépare suite à l'annonce de sa cession de sa filiale parkings.

Or, l'expérience montre que les fusions sont génératrices de création de valeur dans des proportions parfois moindres qu'anticipées d'où la tentation de compléter les opérations post-fusions par des plans sociaux.

Le champion – si l'on peut utiliser ce triste terme ici – étant hélas le groupe Alcatel depuis sa fusion avec Lucent. C'est au nom de tels abus que notre législation est désormais fort complexe ( probablement trop ) et d'application étirée dans le temps ce qui ne contribue pas à aider à la solution de difficultés d'origine sincère.

Parlant de sincérité, il y a aussi des cas où la dure loi des affaires conduise à des litiges coûteux et complexes qui peuvent enclencher le risque d'un plan social.  Voir, par exemple le cas de ABB et d'ALSTOM :

http://www.lesechos.fr/24/11/1999/LesEchos/18032-67-ECH_alstom-a-entame-une-procedure-afin-de-resoudre-son-litige-avec-son-partenaire-et-concurrent-abb.htm

Jean-Yves ARCHER

Economiste

cabinetarcher@orange.fr

24 Novembre 2013

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